Eglise Kerfeunteun

( Cette notice a été réalisée en 1978 Par M. Berder et X. Thoby )

 

QUELQUES DATES

 

Dans leurs notices sur les paroisses du diocèse de Quimper et Léon, les chanoines PEYRON et ABGRALL font remarquer que le nom breton KERFEUNTEUN (en latin "VILLA FONTIS") - le village de la fontaine - attire l'attention sur l'antiquité de cette fontaine. Ils pensent que Kerfeunteun aurait pu être un des premiers sanctuaires élevés dans le pays lors de l'arrivée de saint Corentin et que la fontaine aurait servi de baptistère, ce qui expliquerait l'invocation de la sainte Trinité en ce lieu (le même phénomène s'observe à Lanmeur, dans le Nord-Finistère, où une crypte ancienne dédiée aussi à la Trinité portait autrefois le nom de Kerfeunteun). Ils affirment: "Ce qui est du moins certain, c'est que, de tout temps, les terres de Kerfeunteun et de Cuzon ont appartenu, tant au spirituel qu'au temporel, à l'Evêché de Quimper".

Les paroisses de la Trinité de Kerfeunteun et de saint Pierre de Cuzon étaient distinctes jusqu'à la Révolution. A partir de 1791 de nouvelles limites furent établies. Cuzon fut rattaché à la paroisse de Kerfeunteun.

Dans sa partie la plus ancienne (la nef), l'église remonte au XVIème siècle. Mais un certain nombre d'aménagements furent apportés au cours des siècles suivants. En 1839, sous la direction de l'architecte J. BIGOT, on prolongea le chœur en perçant dans le chevet une chapelle rectangulaire et, sur les côtés, on construisit deux bras de croix. Cet agrandissement ne fut pas suffisant pour répondre aux besoins de la population qui s'accrut encore par la suite. A la fin du siècle dernier, on songeait déjà à de nouveaux travaux. En fait, c'est en 1953 que l'architecte R. LISCH élargit le transept (en ajoutant une travée, ce qui faisait reculer le chevet de plus de six mètres) et construisit une nouvelle sacristie.

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LE VITRAIL DE L'ARBRE DE JESSE

JESSE était le père de David. Un oracle du prophète Isaïe (11, 1-2) disait : "Un rameau sortira de la souche de Jessé, une fleur naîtra de ses racines. Sur lui reposera l'Esprit du Seigneur...". Cette prophétie a été relue par les chrétiens en fonction de la naissance de Jésus-Christ, "fils de David, fils d'Abraham", selon les premiers mots de l'évangile de St Matthieu. L'arbre généalogique de Jésus a été l'un des sujets les plus populaires de l'art religieux du 12ème au 16ème siècle en Europe (sculptures, peintures, vitraux...).

C'est dans ce courant qu'on peut placer l'élaboration du vitrail de Kerfeunteun, qui n'est pas sans valeur, tant au niveau de l'exécution du travail qu'à celui de l'émotion et de la sensibilité qui se dégagent des formes et des couleurs. D'après l'étude la plus récente (celle de M. Roger BARRIE, parue en 1978), il daterait de 1525-1530 et serait œuvre de Laurent LE SODEC, dont la signature apparaît plusieurs fois sur la verrière.

L'organisation se fait sur trois registres

1. Le registre du bas est nettement séparé du reste par une architecture simple.

  A gauche, une Trinité (voir dessin ci-contre). Le Père éternel, coiffé de la tiare, tient dans ses bras le corps du Christ, mort, assis sur ses genoux. Le Saint-Esprit est figuré par une colombe posée sur l’épaule droite du Père. Cette représentation de la Trinité est inspirée d’une gravure de Dürer.

  Au centre, se trouve Jessé, en position assise, les yeux fermés, la tête soutenue par la main droite, le coude appuyé sur un coussin. C’est la figuration que l’on rencontre généralement dans les œuvres des artistes normands. De sa poitrine part un tronc d’arbre, vert, qui se sépare en branches multiples rejoignant des points divers du vitrail.

  A droite, on distingue un saint évêque et le donateur, à genoux.

Plusieurs noms ont été proposés pour identifier ce dernier : d'après Peyron et Abgrall, il pourrait s'agir d'un chanoine (Pierre GOAZGUENOU ou Yves TOULALAN) ; mais R. Barné propose d'y reconnaître le vicaire Gauvaing KERVILER, ou, mieux encore, l'évêque de Quimper Claude de ROHAN (1501-1540). En ce cas, le saint représenté à sa droite pourrait être son saint patron, Claude, ou celui du diocèse, Corentin.

Remarquons que la disposition du registre inférieur est originale : dans la plupart des cas, figurent, aux cotés de l'ancêtre Jessé quelques prophètes.

2. Au registre suivant, sont disposés douze rois, dans un ordre qui n'est pas celui de la chronologie. On peut noter la variété de leurs traits. Mais tous sont assis et portent des attributs qui indiquent leur qualité : colliers, sceptres, couronnes, vêtements somptueux. Leurs noms sont inscrits sur des banderoles.

Observer deux détails pittoresques

    - David est facilement reconnaissable à sa harpe. L'œil est attiré par des cordes de l'instrument, mises en valeur par un procédé technique intéressant elles sont gravées directement sur le fond rouge du vitrail (en grattant la couleur).

    - Deux paysages de châteaux, enfouis dans des bosquets, sont dessinés avec minutie, à droite et à gauche, au bas de ce registre : aux pieds de Josaphat (au-dessus de la tête du Père éternel) et aux pieds de Salomon (au-dessus de la tête de saint évêque). Mais Si vous ne disposez pas de jumelles, vous ne distinguerez que vaguement quelques taches un peu sombres dans le fond rouge de la verrière...

3. Au registre supérieur se dégagent de l'enchevêtrement trois personnages le Christ crucifié, entouré de sa mère et de son disciple préféré, saint Jean. Scène inspirée de l'évangile de Jean 19,26. Il semble bien que la représentation d'un tel motif à l'extrémité de l'Arbre de Jessé soit limitée à la Bretagne. Habituellement s'y trouve figurée une Vierge à l'enfant.

L'unification de tous les éléments des trois registres se fait par l'arbre et ses ramures qui créent un cheminement dans la lecture de l'image et dont la couleur, très présente, organise un rassemblement des différentes formes.

Il nous reste encore à examiner le sommet.

Le tympan comporte des pièces d'époques bien diverses. On y trouve des anges en robe blanche, avec des inscriptions portant plusieurs fois le nom de l'artiste (Le Sodec). Dans le soufflet central, la mitre est ancienne, mais les armoiries et la devise ("eritis mihi testes", "vous serez mes témoins") sont celles de Mgr André FAUVEL, évêque de Quimper et de Léon de 1947 à 1968.

Le vitrail, en effet, a été l'objet de plusieurs restaurations vers 1850, puis vers 1919 ; enfin, entre 1942 et 1953. Au cours de la seconde restauration (1919), on a remplacé quelques pièces des rois, et surtout refait les têtes de la Vierge, de St Jean et du donateur, ainsi que le corps du Christ. Enfin, c'est au cours des derniers travaux que l'on a complété le tympan, en figurant les instruments de la Passion (dans les couronnes tenues par les anges) et le blason de Mgr Fauvel (qui vint présider la célébration de la clôture des aménagements de l'église et de la consécration du nouvel autel, le lundi 21 décembre 1953).

    Si vous voyagez dans la région, vous pourrez comparer l'Arbre de Jessé de Kerfeunteun à un autre de la même époque le vitrail de Notre-Dame de Confort, près de Pont-Croix. Son auteur est R. de LOUBES, artiste Quimpérois.

 

LA CHAIRE

La chaire, peinte en vert bronze et or, date sans doute du XVIIIème siècle. Parmi les personnages représentés sur les panneaux, on reconnaît les évangélistes et (sur la porte) saint Corentin avec, à ses pieds, son célèbre poisson. La voûte, très ouvragée à base pentagonale, est surmontée d'un ange jouant de la trompette, un pied posé sur le globe terrestre. L'ensemble de la chaire repose sur des pieds sculptés à motifs de pétales ouverts.

 

 

 détail sablière et tête de dragon
LA CHARPENTE

Prenez la peine de lever les yeux pour parcourir du regard l'ensemble des boiseries. Vous pourrez ainsi admirer les têtes de dragon à la dentition généreuse et au teint vif, qui ornent les poutres. La première, au fond de l'église (au-dessus de la tribune) porte la date de 1616. La poutre qui se trouve près de la chaire présente aussi une inscription datée de 1648 (chiffres facilement lisibles). Les motifs décoratifs des pièces de bois courant le long du mur au-dessous de la voûte (sablières) sont remarquables par la variété et la précision de leurs sujets : dessins géométriques, blasons, têtes humaines ou animales, de face ou de profil etc... Vous constaterez que l'humour y a droit de cité. (détail d'une sablière)

 

LES STATUES

L'église possède une belle statue de NOTRE DAME DE PITIE ("Pietà"), en bois polychrome : actuellement sur l'autel latéral gauche, elle provient de l'oratoire de Ty-Mam Doue. Par sa facture relativement grossière et la qualité de son expressivité, elle semble remonter au 16ème siècle. Ici, la Vierge ne retient pas son Fils, comme dans la plupart des cas ; elle prie, les mains jointes. Son regard traduit sa désolation et son esprit de sacrifice. De chaque côté du maître-autel sont placées deux vieilles statues de bois : à droite St Pierre (statue provenant de Cuzon) ; à gauche, la Trinité. (nb : les statues récentes qui ornent les autels latéraux - Vierge à l'enfant et St Joseph- sont l'œuvre de J. MINGAM)

Vierge à l'enfant de J Mingam

N-Dame de Pitié  ( XVI siècle)

 

  L'EXTERIEUR

En sortant de l'église, vous pouvez vous arrêter sous le porche devant l'épitaphe du peintre François VALENTIN originaire de Guingamp, mort à Quimper en 1805. La fontaine, telle qu'on l'aperçoit aujourd'hui, a été aménagée en 1956. Le monument aux morts a été érigé près d'une très vieille croix, représentant encore la Trinité (observer la curieuse disproportion entre les tailles des personnages du Père et du Fils). Si vous longez l'église pour vous rendre au cimetière, vous pourrez repérer dans la maçonnerie les indices des agrandissements de l'édifice (la date de 1953 est indiquée a l'entrée de la sacristie). Noter la variété des gargouilles (têtes d'hommes ou de monstres, motifs de pétales). Dans le cimetière, (près de la croix centrale) se trouve le monument funéraire du poète breton Frédéric LE GUYADER (1847-1920). Le clocher, que l'écrivain G. FLAUBERT, dans un récit de voyage en 1847, comparait à une lanterne, est remarquable de finesse et de légèreté, qualités obtenues au prix d'une audace d'architecture : il repose en porte a faux sur le pignon. En prenant du recul, vous pourrez admirer l'ensemble que constituent l'église, la fontaine et le cimetière ; un ensemble que l'on retrouve dans de nombreux bourgs bretons et qui manifeste, pour les croyants, l'unité profonde qui existe entre la communauté des morts et celle des vivants a travers les âges.

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OUVRAGES A CONSULTER (entre autres !)

POUR EN SAVOIR PLUS...

 

Chanoines PEYRON et ABGRALL : Diocèse de Quimper et Léon. Notices sur les paroisses. Quimper, 1919, p. 1-46.

R. COUFFON et A. LE BARS Répertoire des églises et chapelles du diocèse de Quimper et de Léon. Saint-Brieuc, 1959, p. 151-152.

V.-H. DEBIDOUR : L'Art de Bretagne. Paris, 1979, p. 146-151 et 215 (avec une photo, en couleurs, du vitrail, p.150).

R. BARRIE Etude sur le vitrail en Cornouaille au XVIème siècle. Thèse de troisième cycle présentée à l'Université de Haute-Bretagne. U.E.R. des Arts, Rennes, 1978 (multigraphiée).